mercredi 24 juillet 2013

Une journée d’été presque comme les autres.


Mardi 23 juillet 2013, levé tôt après une courte nuit. Météo France annonçait des orages possiblement violents localement. La veille j’avais terminé le rognage des vignes de la Chaume à Rully un peu avant vingt deux heures, il faisait presque nuit. C’est important de ne pas laisser sous la pluie, les jeunes pousses plus sensibles que les autres au mildiou déjà présent ici et là sur les plus vieilles feuilles après le printemps pourri que nous avons connu.

 Tasse de thé vert avalée en vitesse et préparation du pulvérisateur. Vers huit heures, départ pour Rully et la côte Chalonnaise à nouveau, après que la rosée du matin fût tombée. Les vignes sont belles, quelques taches de mildiou ça et là, il va falloir être vigilant jusqu’en septembre, les vendanges s’annoncent tardives. Elles n’ont pas produit beaucoup en 2012 suite à la grêle de 2011 mais cette année, même si le froid du printemps a éclairci les raisins il y a une récolte moyenne si ça tient jusqu’au bout.

Retour dans « l’entrecôte » vers dix heures trente. J’aurais dû alors enchaîner les autres parcelles mais quelques imprévus m’attardèrent au bureau et à la cave. Tant pis je terminerai en début d’après-midi même si un traitement en pleine chaleur n’est pas idéal, on ne maîtrise pas tout.

Repas rapide et vers treize heure, départ pour l’autre côte... celle de Beaune. Traitement à Volnay sans problème, les vignes sont belles, les raisins assez petits et clairs mais en nombre suffisant pour une belle récolte. Après les deux orages de grêle de 2012 et une récolte record (quatre pièces dans un peu moins d’un hectare), on vendangera tard mais si ça va jusqu’au bout et que septembre est beau, ça ira.

 Passage à Beaune, cette vigne des Pertuisots 1er crus, c’est mon bonheur de vigneron, elle est toujours belle et en santé, le sol se cultive bien il est équilibré après quatorze années de travail, d’attention, de soins en tous genre. La partie du bas, la plus vieille, sélection massale, est magnifique. Beau feuillage, raisins bien formés et réguliers, un peu de millerandage mais pas trop, tout ce que l’on attend de sa vigne. La partie du haut, clones sur SO4 est un peu moins vigoureuse mais se porte bien.
La terre est superbe de souplesse et de richesse après des années de labours d’enfouissement de l’herbe pour la structurer et la nourrir.
Malgré la grêle en 2012, la récolte avait été convenable  6 pièces pour un peu plus d’un demi hectare, d’habitude elle en produit huit voire neuf, c’est une très belle vigne, lorsque j’aurai mon cheval, j’essaierai de la cultiver avec lui. Pour cette année si ça va jusqu’au bout ce sera une belle récolte, mais on ne la tient pas encore.

14h 30 départ de Beaune direction Nantoux, ici aussi les vignes sont belles bien que très peu chargées en raisins suite à la grêle dévastatrice de l’année dernière. Là aussi les records avaient été battus, 7 pièces de vins dans trois hectares de vigne !
Mais cette année c’est beau et il ne faut pas traîner car les cumulus montent au nord sur la vallée de l’Ouche et il faut traiter avant la pluie. Quelques rafales de vent de Nord-Est secouent les arbres et les haies alentours, rien de plus.

 15 h 45, je termine sous les roulements non pas du tambour mais du tonnerre. Je charge le tracteur sous deux ou trois gouttes, le nuage noir qui tourne depuis une heure est planté vers Savigny, vers Beaune, de l’autre côté des collines. Par précaution je mets le sac de bouillie de cuivre –sac en papier- dans la cabine du Land Rover.

Je redescends vers le village, face à moi la montagne de Volnay s’est embuée de nuées grises et blanches. A l’est le gros nuage crève et déverse son contenu sinistre sur Beaune. Devant la mairie quelques coups secs et violents me surprennent. Deux ou trois gros grêlons s’éclatent littéralement sur le bitume brûlant.

A la carrière de Nantoux, il pleut de grosses gouttes, en arrivant vers Pommard c’est l’enfer, des grêlons, entre billes et balles ping-pong s’éclatent sur tout ce qu’ils trouvent, frappent, hachent, massacrent. Je m’arrête sous un noyer pour ménager la tôle du Land Rover et attend en espérant que Beaune et Volnay tout proches soient épargnés. Des noix cueillies par les glaçons viennent rouler sur le capot du Land. Dans mon dos, le ciel de Nantoux reste clair.

Au bout de dix minutes de coups incessants - une éternité - la boue a envahi la route mais les grêlons sont plus petits et moins nombreux, je repars.

A ma gauche le talus des Harvelets a glissé sur la route, au-dessus les vignes sont hachées et battues par le vent et la pluie. Plus loin au pied du mur de la Commaraine un amas de grêlons de quarante centimètres de large et  d’une dizaine d’épaisseur tient au frais les herbes hachées.
Je pense à Benjamin et au Clos des Epeneaux un peu plus loin qui n’a pas pu être épargné.

Je descends vers l’ancienne gare de Pommard, les voitures sont à l’arrêt, la route est un torrent  de boue qui descend du coteau par tous les chemins, le chemin de la combe de Lulunne ressemble à un affluant boueux  de la départementale, je sens rouler les cailloux sous les pneus du Land qui avance imperturbable, traînant sa remorque chargée de l’emjambeur qui n’aura pas besoin de passer par l’aire de lavage.

Les grêlons continuent à frapper tantôt plus clairsemés, tantôt plus serrés mais toujours avec une violence douloureuse aux oreilles. Je perds l'espoir que les Pertuisots aient été épargnés.
A la pointe des Tuvilains, l’eau boueuse  semble transporter toute la terre du coteau, le chemin des vignes Franches est une rivière en furie.

                                                                          
Le Clos Landry est en guenilles, j’arrive aux Pertuisots, pas de quartier, c’est la désolation.

Demi-tour, direction Volnay avec l’espoir que la grêle n’aura pas dépassé Pommard.
Je croise David. Sous l’averse, vitre des voitures entre-baissées : c’est massacré lui dis-je.
Mines déconfites : à plus tard.

Entre Pommard et Volnay les torrents de boue affluent de partout, la route qui descend vers la 74 est une rivière en crue, les bouches d’égouts crachent des gerbes d’eau marron à un mètre de hauteur, le vent souffle en bourrasques cinglantes, la pluie semble tomber presqu’à l’horizontale, la buée a envahi les vitres du Land, j’aperçois la vigne de la Gigotte, suffisamment pour penser que là aussi la récolte est en partie faite.
Je pense aux copains dont le vignoble se répartit de Volnay à Savigny ou sur l’une ou l’autre de ces seules communes. J’aurai peut-être la chance de voir Rully et Nantoux épargnés, peut-être ( ?)

Retour à Demigny, le village est sous les eaux mais il n’y a pas eu de grêle ici, j’allais dire malheureusement, j’eu préféré perdre mon petit jardin et garder les raisins de la Côte. Je regarde tomber la pluie et le pluviomètre déborder; je cherche un réconfort au frigidaire, il fait lourd, j'ai soif ! 
                                                                               
Vers 19h00 retour dans le vignoble, après un coup de fil rassurant de Stéphane, je sais que Rully n’a pas été touché.
A Volnay le vent a anéanti le travail des employées qui avaient passé des heures au palissage, il faudra reprendre les pieds et ce qui reste de leurs branches une à une, les raisins sont presque tous touchés j’estime à 50% le volume de récolte perdue.
Un crochet par Nantoux, rassurant, il n’est tombé que quelques millimètres d’eau et pas de grêle.

En redescendant vers Pommard j’observe le balai des camionnettes des vignerons qui font l’inventaire sinistre des dégâts. Les visages sont fermés, les saluts bien las. Les regards pleins de désespoir.

Je retrouve David dans les Pertuisots, nous visitons nos vignes respectives, désolés mais fatalistes, c’est notre destin de vigneron, la nature nous contraint, qui que nous soyons quoi que nous fassions. 70 à 80% de perte selon moi, David est un peu plus optimiste.
                                                                             


Nous gardons notre humour même s’il est un peu moins gaillard et descendons au Café du Square pour un verre de réconfort. Bière ? vin ? Bière pour commencer, il faut être économe…

Dom arrive, dégaine estivale, Champagne dit-il. J’aime son humour.

Demain il faudra remettre l’ouvrage sur le métier et continuer. Météo France nous a mis en vigilance orange, si ça doit recommencer, que tombe où ça veut mais pas à Rully ni à Nantoux si ce n’est pas trop demander. Je me dis qu’au moins il y aura peut-être là une récolte, si ça va jusqu’au bout !


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